Les historiens ont fait preuve d’une étonnante indifférence à l’égard des dimensions juridiques de l’« empire informel ». Cet article montre que les pratiques juridiques ont en réalité créé et soutenu une indétermination de souveraineté. Nous nous intéressons à Pitcairn, une petite île isolée du Pacifique, peuplée en 1789 par une poignée de Britanniques et de Tahitiens après la mutinerie du Bounty. Administrateurs britanniques, professionnels du droit, voyageurs et historiens ont avancé un enchevêtrement de revendications, chacune liée à une chronologie particulière, sur la manière dont Pitcairn est devenue britannique. Une des thèses qui ressort de ces controverses est qu’un capitaine de la marine britannique aurait pris possession de l’île en 1838. Nous remettons en question cette version ainsi que d’autres récits prédominants en montrant comment les multiples reconfigurations des liens entre l’île et l’empire ont non seulement empêché la première d’être absorbée dans le second, mais également de devenir une entité indépendante. Les visites intermittentes des officiers de la marine britannique ont progressivement constitué un système juridique improvisé, tandis que des factions rivales parmi les habitants de l’île ont orienté les agents impériaux dans le soutien de projets locaux, y compris des tentatives de prise de pouvoir sur l’île. Pendant un siècle et demi, ces processus ont maintenu Pitcairn au seuil de l’empire. La portée de cette histoire dépasse largement le cas de ce minuscule territoire. En nous appuyant sur une étude micro-historique de Pitcairn afin d’éclairer plus largement l’agencement des relations entre entités politiques, nous montrerons que cette souveraineté indécise a pour origine ce que nous proposons d’appeler les « circuits juridiques » de l’empire au xixe siècle.