No CrossRef data available.
Histoire et mémoire d’un foyer multiracial « invisible » en Nouvelle-Calédonie
Published online by Cambridge University Press: 02 April 2025
Les recherches sur les intimités interraciales en contexte colonial s’intéressent généralement à des cas de litiges administratifs ou de conflits judiciaires qui ont attiré l’attention des autorités coloniales vis-à-vis de certains « couples mixtes », « familles multiraciales » et autres individus « métis ». Mais qu’en est-il de la vie et de l’expérience de celles et ceux qui n’ont pas contesté leur statut légal et sont restés sous le « radar administratif », demeurant ainsi virtuellement invisibles dans les archives de l’État colonial ? Cet article aborde ces questions dans le cadre de la colonie française de Nouvelle-Calédonie, en analysant la trajectoire d’un foyer familial établi à l’abri des regards officiels, composé d’un colon français, d’une femme autochtone kanak et de leurs descendants. L’objectif est ici de comprendre ce que ce phénomène de relative invisibilité sociale révèle de la portée et des limites de la domination coloniale « au ras du sol ». Croisant enquête ethnographique de terrain et recherche en archives, l’article retrace les conditions dans lesquelles cette configuration familiale a pu émerger puis se maintenir pendant plus de cinquante ans. Elle a finalement disparu après la mort du colon français, lorsque chacun des deux groupes familiaux élargis – du côté européen et du côté kanak – a œuvré, à des degrés divers, à l’effacement de ce passé gênant au sein de leurs mondes sociaux respectifs.
An expanding scholarship on interracial intimacy in colonial contexts has generally focused on cases of administrative disputes or judicial conflicts that brought “mixed couples,” “mixed-race families,” or “métis” to the attention of colonial authorities. But what of the lives and experiences of those who did not contest their legal status, remaining under the administrative radar and thus virtually invisible in the archives of the colonial state? This article tackles these issues in the context of the French colony of New Caledonia by analyzing the trajectory of a family household established out of official sight, made up of a French settler, a Kanak woman, and their descendants. The goal here is to understand what this phenomenon of relative social invisibility reveals about the scope and limits of colonial domination “at ground level.” Combining ethnographic fieldwork and archival research, the article traces the conditions under which this family configuration was able to emerge and then endure for over fifty years. It finally disappeared after the death of the French settler, when each of the wider family groups—European and Kanak—to varying degrees sought to efface this awkward past within their respective social worlds.
1. Ann Laura Stoler, La chair de l’empire. Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial, trad. par S. Roux, Paris, La Découverte, [2002] 2013 ; ead., « Tense and Tender Ties: The Politics of Comparison in North American History and (Post)Colonial Studies », The Journal of American History, 88-3, 2001, p. 829-865 ; Pascale Barthélémy et al., « Carnal Knowledge and Imperial Power: Race and the Intimate in Colonial Rule », Monde(s), 24-2, 2023, p. 133-159.
2. Sur les « politiques de la différence » au cœur des formations impériales, voir Jane Burbank et Frederick Cooper, Empires in World History: Power and the Politics of Difference, Princeton, Princeton University Press, 2010, p. 11-13.
3. Ce dernier point fait l’objet d’une vaste littérature. De manière générale, l’intensification de la colonisation s’est traduite par une moindre tolérance des autorités à l’égard des relations interraciales. Avec l’arrivée en nombre de femmes blanches, ces relations, auparavant considérées comme nécessaires ou souhaitables, sont apparues comme des menaces pour les idéaux de respectabilité bourgeoise dont l’affirmation était de plus en plus marquée. On voit cependant émerger des différences notables entre les colonies européennes dans lesquelles l’exploitation repose sur une domination économique, commerciale, diplomatique ou militaire, avec une présence européenne relativement faible (soit la majorité des colonies d’Afrique, d’Asie et d’Océanie) et les colonies de peuplement qui comptent des populations européennes relativement importantes – avec une plus grande proportion de femmes blanches – et se caractérisent par des projets d’établissement de nouvelles sociétés européennes (principalement aux Amériques, en Algérie, en Afrique du Sud, en Australie et en Nouvelle-Zélande). D’autres différences existent entre colonies selon que l’esclavage y a été, ou non, pratiqué ; dans le premier cas, les relations entre Blancs et autochtones sont susceptibles d’être davantage encouragées ou tolérées que les relations entre Blancs et esclaves. On note également des différences liées au genre : alors que les unions entre des femmes blanches et des hommes autochtones ou réduits en esclavage étaient presque toujours condamnées socialement, quand elles n’étaient pas tout simplement interdites légalement, celles impliquant des hommes blancs et des femmes non-blanches étaient bien plus susceptibles d’être tolérées. Cette typologie n’épuise toutefois pas toute la diversité des situations coloniales. Pour le cas de la France, voir, par exemple, Gilles Havard, « ‘Les forcer à devenir Cytoyens’. État, Sauvages et citoyenneté en Nouvelle-France (xviie-xviiie siècle) », Annales HSS, 64-5, 2009, p. 985-1018, ici p. 1001-1005 ; Cécile Vidal et Emily Clark, « Famille et esclavage à La Nouvelle-Orléans sous le régime français (1699-1769) », Annales de démographie historique, 122-2, 2011, p. 99-126 ; Emmanuelle Saada, Les enfants de la colonie. Les métis de l’Empire français entre sujétion et citoyenneté, Paris, La Découverte, 2007 ; Rachel Jean-Baptiste, Conjugal Rights: Marriage, Sexuality and Urban Life in Colonial Libreville, Gabon, Athens, Ohio University Press, 2014. Sur l’Empire britannique, voir Durba Ghosh, Sex and the Family in Colonial India: The Making of Empire, Cambridge, Cambridge University Press, 2006 ; Damon Ieremia Salesa, Racial Crossings: Race, Intermarriage, and the Victorian British Empire, Oxford, Oxford University Press, 2011 ; Claudia Knapman, White Women in Fiji 1835-1930: The Ruin of Empire?, Sydney, Allen and Unwin, 1986 ; Angela Wanhalla, Matters of the Heart: A History of Interracial Marriage in New Zealand, Auckland, Auckland University Press, 2013. Voir également, pour d’autres contextes impériaux, Amandine Lauro, Coloniaux, ménagères et prostituées au Congo Belge, 1885-1930, Loverval, Labor, 2005 ; Charlotte de Castelnau-L’Estoile, Un catholicisme colonial. Le mariage des Indiens et des esclaves au Brésil, Paris, PUF, 2019 ; Frances Gouda, « Genre, métissage et transactions coloniales aux Indes néerlandaises (1900-1942) », Clio. Histoire, femmes et sociétés, 33-1, 2011, p. 23-44 ; Carmen Bernand et al. (dir.), no spécial « Amériques métisses », Clio. Histoire, femmes et sociétés, 27-1, 2008. Pour des enquêtes plus larges, voir Jean-Frédéric Schaub et Silvia Sebastiani, Race et histoire dans les sociétés occidentales, xve-xviiie siècle, Paris, Albin Michel, 2021 ; Chelsea Schields et Dagmar Herzog (dir.), The Routledge Companion to Sexuality and Colonialism, Londres, Routledge, 2021 ; Solène Brun, Derrière le mythe métis. Enquête sur les couples mixtes et leurs descendants en France, Paris, La Découverte, 2024, p. 35-71.
4. E. Saada, Les enfants de la colonie, op. cit., p. 73-78.
5. Ibid., p. 1-41 ; Rachel Jean-Baptiste, Multiracial Identities in Colonial French Africa: Race, Childhood, and Citizenship, Cambridge, Cambridge University Press, 2023 ; Violaine Tisseau, Être métis en Imerina (Madagascar) aux xixe-xxe siècles, Paris, Karthala, 2017 ; Owen White, Children of the French Empire: Miscegenation and Colonial Society in French West Africa 1895-1960, Oxford, Oxford University Press, 1999. Ce débat, qui trouve son origine dans l’idéologie de la « filiation naturelle » et des questions sur les liens entre filiation, transmission, statut social, race, genre et citoyenneté, évoque une controverse plus ancienne sur le statut des bâtards dans l’Ancien Régime et pendant la Révolution. Voir Sylvie Steinberg, Une tâche au front. La bâtardise aux xvie et xviie siècles, Paris, Albin Michel, 2016 ; ead., « Et les bâtards devinrent citoyens. La privatisation d’une condition d’infamie sous la Révolution française », Genèses, 108-3, 2017, p. 9-28 ; E. Saada, Les enfants de la colonie, op. cit., p. 29-34.
6. Ann Laura Stoler, Au cœur de l’archive coloniale. Questions de méthode, trad. par C. Jaquet et J. Gross, Paris, Éd. de l’EHESS, [2009] 2019.
7. Chelsea Schields et Dagmar Herzog, « Sex, Intimacy, and Power in Colonial Studies », in C. Schields et D. Herzog (dir.), The Routledge Companion to Sexuality and Colonialism, op. cit., p. 1-17, ici p. 3 ; P. Barthélémy et al., « Carnal Knowledge and Imperial Power », art. cit., p. 139. Toutes les traductions de l’anglais ont été réalisées par Antoine Heudre et révisées par Benoît Trépied.
8. Bastien Bosa, « Comment devient-on aborigène ? Trajectoires familiales dans le Sud-Est de l’Australie », Annales HSS, 64-6, 2009, p. 1335-1359, ici p. 1338-1339.
9. A. L. Stoler, Au cœur de l’archive coloniale, op. cit. ; Marie Rodet, « C’est le regard qui fait l’histoire. Comment utiliser des archives coloniales qui nous renseignent malgré elles sur l’histoire des femmes africaines (archives) », Terrains & travaux, 10-1, 2006, p. 18-35 ; Pascale Barthélémy, Luc Capdevila et Michelle Zancarini-Fournel, « Femmes, genre et colonisations », in P. Barthélémy, L. Capdevila et M. Zancarini-Fournel (dir.), no spécial, « Colonisations », Clio. Histoire, femmes et sociétés, 33-1, 2011, p. 7-22 ; Elisa Camiscioli, « Women, Gender, Intimacy, and Empire », Journal of Women’s History, 25-4, 2013, p. 138-148.
10. Par exemple, D. Ghosh, Sex and the Family in Colonial India, op. cit. ; Amandine Lauro, « ‘J’ai l’honneur de porter plainte contre ma femme’. Litiges conjugaux et administration coloniale au Congo belge (1930-1960) », Clio. Histoire, femmes et sociétés, 33-1, 2011, p. 65-84 ; Rachel Jean-Baptiste, « ‘A Black Girl Should Not Be with a White Man’: Sex, Race, and African Women’s Social and Legal Status in Colonial Gabon, c. 1900-1946 », Journal of Women’s History, 22-2, 2010, p. 56-82 ; B. Bosa, « Comment devient-on aborigène ? », art. cit. ; Angela Wanhalla et Kate Stevens, « A ‘Class of No Political Weight’? Interracial Marriage, Mixed Race Children, and Land Rights in Southern New Zealand, 1840s-1880s », History of the Family, 24-3, 2019, p. 653-673.
11. Nous nous inscrivons ici dans la continuité du travail de Françoise Blum et Ophélie Rillon sur la famille d’Arboussier et de celui de Violaine Tisseau sur les histoires des familles mixtes à Madagascar. Voir Françoise Blum et Ophélie Rillon, « Une histoire de famille dans l’empire colonial français. Penser les trajectoires individuelles et familiales au prisme de l’intersectionnalité », 20 & 21. Revue d’histoire, 146-2, 2020, p. 39-52 ; V. Tisseau, Être métis en Imerina…, op. cit. ; ead., « Au creux de l’intime. Familles et sociabilités de l’entre-deux à Madagascar pendant la période coloniale (1896-1960) », Annales de démographie historique, 135-1, 2018, p. 113-140.
12. Comme l’illustrent les travaux de Clare Anderson, Subaltern Lives: Biographies of Colonialism in the Indian Ocean World, 1790-1920, Cambridge, Cambridge University Press, 2012 ; Martha Hodes, « A Story With an Argument: Writing the Transnational Life of a Sea Captain’s Wife », in D. Deacon, P. Russell et A. Woollacott (dir.), Transnational Lives: Biographies of Global Modernity, 1700-Present, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2010, p. 15-26 ; ead. , La femme du capitaine. Guerre, amour et race dans l’Amérique du xixe siècle, Toulouse, Anacharsis, 2019 ; Virginie Riou, « Trajectoires pseudo-coloniales : les Français du condominium franco-anglais des ex-Nouvelles-Hébrides (Vanuatu) de la fin du xixe siècle à l’entre-deux-guerres », thèse de doctorat, EHESS, 2010. Voir également Angela Wanhalla, In/visible Sight: The Mixed Descent Families of Southern New Zealand, Wellington, Bridget Williams Books, 2009, où l’autrice part de l’histoire de sa propre famille pour révéler des processus de mixité raciale jusqu’alors largement « invisibles » dans le sud de la Nouvelle-Zélande ; et A. Wanhalla et K. Stevens, « A ‘Class of No Political Weight’? », art. cit., p. 653-655.
13. Le nom « Kanak » et l’adjectif « kanak », tous deux invariables, sont les termes officiels utilisés aujourd’hui pour désigner le peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie.
14. Frederick Cooper, « Divergences et convergences : vers une relecture de l’histoire coloniale africaine » [1994], in M. Diouf (dir.), L’historiographie indienne en débat. Colonialisme, nationalisme et sociétés postcoloniales, trad. par O. Kane, Paris, Karthala, 1999, p. 433-482, ici p. 437. Sur l’heuristique de la « pensée par cas », voir Jean-Claude Passeron et Jacques Revel (dir.), Penser par cas, Paris, Éd. de l’EHESS, 2005.
15. V. Tisseau, « Au creux de l’intime », art. cit., p. 114.
16. Ead., Être métis en Imerina…, op. cit., p. 181-184.
17. Benoît Trépied, « Politique et relations coloniales en Nouvelle-Calédonie. Ethnographie historique de la commune de Koné, 1946-1988 », thèse de doctorat, EHESS, 2007 ; id., Une mairie dans la France coloniale. Koné, Nouvelle-Calédonie, Paris, Karthala, 2010.
18. Benoît Trépied, entretien avec Maria Napoaréa (née en 1947), Tiaoué (Koné), 3 déc. 2002.
19. Nous nous penchons plus loin sur les caractéristiques particulières de cette localité appartenant à la commune de Koné.
20. Benoît Trépied, entretien avec Roger Mennesson (1923-2008), La Tontouta, 12 janv. 2004.
21. Benoît Trépied, entretien avec Léon Magnier (1925-2015), Koné, 17 avr. 2003.
22. Selon les catégories créées à l’époque coloniale, une « tribu » est un espace de co-résidence autochtone situé sur une « réserve indigène » (elle-même délimitée par l’administration) dont les habitants sont placés sous l’autorité d’un « petit chef » administratif. La commune de Koné compte actuellement neuf tribus, distinctes du bourg colonial (le « village »).
23. Benoît Trépied et Sonia Grochain, entretien avec Suzanne Napoaréa (veuve Moagou), Koniambo (Koné), 6 nov. 2002. Toutes les citations de Suzanne ci-après sont tirées de cet entretien. Nous examinons plus loin la question du patronyme de Suzanne.
24. B. Trépied, Politique et relations coloniales…, op. cit. ; id., Une mairie dans la France coloniale, op. cit., p. 100-104.
25. Adrian Muckle, « Spectres of Violence in a Colonial Context: The Wars at Koné, Hienghène and Tipindjé – New Caledonia, 1917 », thèse de doctorat, Australian National University, 2004 ; id., Violences réelles et violences imaginées dans un contexte colonial. Nouvelle-Calédonie, 1917, trad. par P. Boisserand, Nouméa, Presses universitaires de la Nouvelle-Calédonie, [2012] 2018.
26. Adrian Muckle et Benoît Trépied, « Les transformations de la ‘question métisse’ en Nouvelle-Calédonie (1853-2009) », Anthropologie et sociétés, 38-2, 2014, p. 89-108.
27. Selon le recensement de 1901, la colonie comptait 5 180 femmes parmi les 12 253 colons libres, dont 896 femmes célibataires de plus de 18 ans, 1 754 femmes mariées et 2 126 enfants. Sur les 5 323 colons pénaux (« libérés »), seulement 144 étaient des femmes. Recensement général de la population, 3 nov. 1901, Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie (ci-après JONC), 5 avr. 1902.
28. Joël Dauphiné, « Le métissage biologique dans la Nouvelle-Calédonie coloniale (1853-1939) », in A. Saussol et J. Zitomersky (dir.), Colonies, territoires, sociétés. L’enjeu français, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 217-222.
29. Isabelle Merle, Expériences coloniales. La Nouvelle-Calédonie, 1853-1920, Paris, Belin, 1995, p. 360-368.
30. Ibid., p. 363-364.
31. E. Saada, Les enfants de la colonie, op. cit., p. 15, 34 et 53 ; Marie-Paule Ha, « ‘La Femme française aux colonies’: Promoting Female Immigration at the Turn of the Century », French Colonial History, 6, 2005, p. 205-224, ici p. 207-209 ; A. L. Stoler, La chair de l’empire, op. cit., p. 78-83 et 84-87.
32. E. Saada, Les enfants de la colonie, op. cit., p. 31-32 ; V. Tisseau, Être métis en Imerina…, op. cit. ; O. White, Children of the French Empire, op. cit. ; A. Muckle et B. Trépied, « Les transformations de la ‘question métisse’… », art. cit.
33. Alban Bensa, « Colonialisme, racisme et ethnologie en Nouvelle-Calédonie », Ethnologie française, 18-2, 1988, p. 188-197 ; I. Merle, Expériences coloniales, op. cit. ; Jean-Louis Rallu, « Les catégories statistiques utilisées dans les DOM-TOM depuis le début de la présence française », Population, 53-3, 1998, p. 589-608, ici p. 604 ; Frédéric Angleviel (dir.), La Nouvelle-Calédonie, vol. 1, Terre de métissages, Paris, Les Indes savantes, 2004 ; E. Saada, Les enfants de la colonie, op. cit., p. 44-45.
34. Christiane Terrier, « Calédoniens ou métis ? », in F. Angleviel (dir.), La Nouvelle-Calédonie, vol. 1, op. cit., p. 65-80, ici p. 70 ; I. Merle, Expériences coloniales, op. cit., p. 364-366.
35. Cité dans E. Saada, Les enfants de la colonie, p. 44.
36. Florence Weber, Penser la parenté aujourd’hui. La force du quotidien, Paris, Éd. rue d’Ulm, [2005] 2013, p. 7-11.
37. Nous utilisons ce terme non genré comme un synonyme du terme genré « fratrie ».
38. Documents d’Alban Bensa, Généalogie de la famille Napoaréa (Näpôaréa) compilée avec Christian Napoaréa, 5 août 1987, don d’Alban Bensa aux auteurs, en leur possession.
39. Jean-Marc Estournès, « La saga Henriot », in Dimanche Matin, Sagas calédoniennes. 50 grandes familles, t. 1, Nouméa, Dimanche Matin, 1998, p. 128-131. Nous avons découvert récemment, sur un site de généalogie en accès libre, qu’Auguste Henriot est désormais présenté publiquement comme le père de « Loulou Napoaréa » et de « Suzanne Henriot ». La mère de Loulou est nommée « X Iaba » et celle de Suzanne « Marcelle Soukita ». L’auteur de la généalogie, « JPK Gousset », ne précise pas ses sources et les autres enfants d’Auguste (dont nous parlerons plus loin) n’apparaissent pas. Il n’en demeure pas moins que l’existence même de cette notice témoigne de la plus grande ouverture qui règne actuellement autour des questions de métissage en Nouvelle-Calédonie, alors que le xxe siècle a longtemps été marqué par un puissant non-dit à ce sujet, comme nous le montrerons dans la dernière partie de l’article. Voir https://gw.geneanet.org/jpkgousset?lang=fr&n=henriot&p=auguste+louis [consulté le 13 déc. 2024].
40. Les concessions de Claude-Léon comprenaient un lot de village à Koné, où la maison de famille fut construite, un lot de jardinage adjacent, quatre hectares de terres agricoles à l’ouest du village et vingt hectares de pâturages.
41. Nouméa, Archives de la Nouvelle-Calédonie (ci-après ANC), 97W, Renseignements sur les colons, Koné, 12 févr. 1895.
42. I. Merle, Expériences coloniales, op. cit., p. 230, 269 et 320-322 ; Christiane Terrier, « La colonisation de peuplement libre en Nouvelle-Calédonie (1889-1909) ou des conséquences de la confrontation entre intérêts métropolitains et insulaires dans l’évolution d’une utopie française en Océanie vers un type colonial spécifique », thèse de doctorat, Université de Nouvelle-Calédonie, 2000, p. 231-233.
43. ANC, 1093W65, Acte d’attribution du titre de propriété définitif des concessions, 26 oct. 1896 ; Aix-en-Provence, Archives nationales d’Outre-mer, Dépôt des papiers publics des colonies, ncl/114, Notariat, Bourail, 1901-1902, actes de vente datés du 30 juill. 1901 et d’août 1902.
44. ANC, 129W1. D’après les actes attribuant le titre de propriété définitif les 6 et 16 avril 1917, les concessions de Baco ont été allouées le 22 janvier 1900 et le 17 septembre 1904.
45. I. Merle, Expériences coloniales, op. cit., p. 343-345 et 353-355.
46. J.-M. Estournès, « La saga Henriot », op. cit., p. 129.
47. Ibid., p. 130.
48. Ibid.
49. En 1908, Henri racheta les lots de village d’Auguste et d’Alexandre à Koné, mais les registres fonciers laissent penser qu’Auguste a continué à en assumer la responsabilité. ANC, 231W33, Matrice de la contribution foncière, 1911.
50. Nouméa, Archives de l’Archevêché de Nouméa (ci-après AAN), 87.7, Exilés à l’Île des Pins – Recensement, févr. 1894. Les noms enregistrés en 1894 ne correspondent pas exactement à ceux qui figurent après 1934 dans l’état civil kanak sous le patronyme Neniko. Nous présumons que la sœur identifiée comme Agnes Chouké en 1894 est Adèle Mou et que le frère, dont le nom n’était pas mentionné, est Adrien Tiéou (fig. 1).
51. Sur le sort des exilés, plus généralement, voir Alain Saussol, L’Héritage. Essai sur le problème foncier mélanésien en Nouvelle-Calédonie, Paris, Musée de l’Homme, 1979, p. 245-249.
52. JONC, 17 nov. 1894. La date de naissance de Marcelle est estimée dans l’état civil établi après 1934 pour la tribu de Tiaoué.
53. AAN, 87.7, Journal de notes, Vao, 3-9 nov. 1894.
54. AAN, 45.2, Xavier Chaboissier à Monseigneur, Koné, 27 juin 1895.
55. Anon., « Dans l’intérieur », La Calédonie, 15 janv. 1896, p. 2-3.
56. Arrêté no 1004, 25 oct. 1899, Bulletin officiel de la Nouvelle-Calédonie (1899), p. 630.
57. Union agricole calédonienne, Notice sur la Nouvelle-Calédonie, ses richesses, son avenir (rédigée pour l’exposition universelle de 1900), Paris, Société d’éditions littéraires et artistiques, Librairie Paul Ollendorff, 1900, p. 17-18.
58. William Matthew Cavert, « Remaking the Pacific: Ecological Imagination and Transformation in France’s Pacific Island Empire, 1842-1931 », thèse de doctorat, université d’Hawaiʻi à Mānoa, 2022, p. 252-253.
59. Gustave Gallet, Notice sur la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Imprimerie du gouvernement, 1884, p. 51.
60. Anon., Guide de l’émigrant en Nouvelle-Calédonie, Paris, A. Challamel et Léon Chailley, 1894, p. 40 ; C. Terrier, « Calédoniens ou métis ? », art. cit., p. 71-73.
61. À l’époque coloniale, les registres d’état civil consignaient, dans chaque municipalité, les naissances, décès, mariages et déclarations de paternité ou de maternité pour tous les citoyens français et les résidents étrangers. Relevant juridiquement d’un statut civil particulier distinct du droit civil commun, les Kanak n’étaient pas censés être inscrits à cet état civil (dit « français » ou de droit commun), en dépit de nombreuses exceptions. Avant 1934, l’élaboration d’un état civil « indigène », réservé aux Kanak, n’existait que sous une forme rudimentaire, les chefs administratifs étant chargés de recenser les naissances et décès et de tenir des listes pour le prélèvement de l’impôt de capitation et les prestations obligatoires de travail. En 1934, des procédures détaillées concernant l’organisation de l’état civil indigène ont été élaborées ; dès lors, chaque tribu a tenu un registre, sous le contrôle du gendarme chargé de superviser les « affaires indigènes » dans chaque localité. À notre connaissance, c’est à ce moment-là que les renseignements relatifs à toutes les familles vivant à Tiaoué ont été compilés pour la première fois. En plus de ces registres administratifs, le prêtre catholique de chaque paroisse tenait des registres de baptême, de mariage et d’enterrement, dans lesquels aucune distinction formelle n’était faite entre indigènes et colons. Les archives existantes de la paroisse de Koné, qui englobe Tiaoué, remontent à 1900.
62. Documents d’Alban Bensa, Généalogie de la famille Napoaréa (Näpôaréa) compilée avec Christian Napoaréa, 5 août 1987, don d’Alban Bensa aux auteurs, en leur possession.
63. Gabriel et Alice furent baptisés le 9 octobre 1920, Loulou le 21 juin 1921 et Suzanne le 8 décembre 1927. ANC, Mission de Koné, Registre de baptême. S’agissant de Loulou et Gabriel, nous privilégions les dates de naissance estimées au moment du baptême (1901 et 1903) par rapport aux dates consignées dans des documents plus tardifs (1902, 1903 ou 1906 pour Loulou, 1906 pour Gabriel). Dans le cas de Suzanne, 1910 est à la fois la date estimée au moment du baptême et celle qui figure dans les documents officiels, mais ses descendants actuels pensent qu’elle serait née en 1906 : « ‘Mamie Toutou’ centenaire », Les nouvelles calédoniennes, 3 janv. 2006, https://www.lnc.nc/article/societe/mamie-toutou-centenaire.
64. Adrian Muckle et Benoît Trépied, « In the Long ‘Run’: Kanak Stockmen, the Cattle Frontier and Colonial Power Relations in New Caledonia, 1870-1988 », Oceania, 80-2, 2010, p. 198-215, ici p. 199-206.
65. I. Merle, Expériences coloniales, op. cit., p. 366-367.
66. Koné, État civil, Actes de mariages, 1880-1920.
67. Koné, État civil, Actes de naissances, 1880-1907.
68. W. M. Cavert, « Remaking the Pacific », op. cit., p. 247-248.
69. ANC, 23WE4, Jugement de Simple Police, Koné, 28 oct. 1907 ; Koné, État civil, Actes de mariage, 29 déc. 1913.
70. Adrian Muckle, « ‘Natives’, ‘Immigrants’ and ‘Libérés’: The Colonial Regulation of Mobility in New Caledonia », Law, Text, Culture, 15-1, 2011, p. 135-161, ici p. 151.
71. ANC, 441W, recensement de 1921 et recensement de 1926.
72. J.-M. Estournès, « La saga Henriot », op. cit., p. 129.
73. Sur les discours présentant les femmes européennes comme vectrices de moralité, de prestige et de respectabilité dans le cadre d’une refondation de la société coloniale, voir A. L. Stoler, La chair de l’empire, op. cit., p. 87-91 et 109-111 ; M.-P. Ha, « ‘La Femme française aux colonies’ », art. cit., p. 205-209.
74. V. Riou, « Trajectoires pseudo-coloniales », op. cit., p. 442.
75. En tant que « sujets indigènes non-citoyens français », les Kanak ont conservé un statut civil personnel (ou particulier) distinct du droit civil commun pendant toute la période coloniale. Dans leur cas, les affaires civiles en matière de mariage, d’adoption ou de succession n’étaient pas régies par le Code civil français, mais par des « coutumes indigènes » non codifiées. Jusqu’en 1946, les quelques Kanak ayant acquis la citoyenneté française quittèrent le statut personnel pour être soumis au Code civil français. Depuis 1946, date à laquelle ils ont collectivement acquis la citoyenneté française, les Kanak peuvent choisir de conserver leur statut civil particulier.
76. Isabelle Merle et Adrian Muckle, L’indigénat. Genèses dans l’empire français : pratiques en Nouvelle-Calédonie, Paris, CNRS Éditions, 2019, p. 302. Voir, dans le présent numéro, le compte rendu de cet ouvrage par Emmanuelle Saada, p. xxx-xxx.
77. Auguste Albert Faure, « ‘Affaires de Koné’. Rapport du Brigadier Faure sur les débuts de l’insurrection de 1917 en Nouvelle-Calédonie », Journal de la Société des Océanistes, 76, 1983, p. 69-88, ici p. 74-75 ; A. Muckle, Violences réelles…, op. cit., p. 33-37.
78. AAN, 46.1, Halbert à Monseigneur, Koné, 4 déc. 1924.
79. Revue Agricole, janv. 1933, p. 940-950. Voir aussi Jean-Marie Lambert, La nouvelle politique indigène en Nouvelle-Calédonie. Le capitaine Meunier et ses gendarmes, 1918-1954, Paris, L’Harmattan, 1999.
80. Documents familiaux d’Évelyne Henriot.
81. Jean Risbec, « L’Agriculture en Nouvelle-Calédonie », La revue du Pacifique, 15 juill. 1933, p. 406-417 ; id., « Les parasites du caféier en Nouvelle-Calédonie », L’Agronomie coloniale : bulletin mensuel du Jardin colonial, 10, 1936, p. 105-122, ici p. 108.
82. Marie Salaün, L’école indigène. Nouvelle-Calédonie, 1885-1945, Rennes, PUR, 2005, p. 103.
83. Benoît Trépied, entretien avec Micheline Moagou, Koniambo (Koné), 14 juill. 2016. Toutes les citations de Micheline ci-après sont tirées de cet entretien.
84. AAN, 21.7, Déposition du témoin Henriot Auguste, 2 oct. 1918.
85. Maurice Coyaud, Contes chinois et kanak, Paris, PAF, 1982, p. 56.
86. I. Merle, Expériences coloniales, op. cit., p. 360-364.
87. A. Muckle et B. Trépied, « In the Long ‘Run’ », art. cit., p. 199-202. Il s’agissait d’Antoine Chautard (le voisin d’Auguste à Baco) et de Jean-Marie Fiacre.
88. ANC, Mission de Koné, Registre de sépulture, 15 févr. 1921. L’acte de décès d’Alice n’a pas été retrouvé, mais d’après Suzanne, elle aussi était morte dans la léproserie locale.
89. Le fait que Loulou ait été baptisé le même jour que son oncle adoptif, Prosper Téin Tarino Napoaréa (1880-avant 1935) renforce également cette hypothèse.
90. Voir Isabelle Leblic, « Adoptions et transferts d’enfants dans la région de Ponérihouen », in A. Bensa et I. Leblic (dir.), En pays kanak. Ethnologie, linguistique, archéologie, histoire de la Nouvelle-Calédonie, Paris, Éd. de la MSH, 2000, p. 49-67.
91. Il est également intéressant de noter que, selon le registre de l’Église catholique, Patrice Oué Napoaréa lui-même était né de parents exilés sur l’Île des Pins ; il aurait ensuite été adopté au sein du lignage Napoaréa comme frère cadet de Prosper Téin Tarino Napoaréa. Cela soulève d’autres questions concernant l’intégration des anciens exilés de Poya au sein de la tribu de Tiaoué qui dépassent le cadre de cette étude.
92. Arrêté no 681, 3 sept. 1915, art. 1, JONC, 11 sept. 1915, p. 550.
93. I. Merle et A. Muckle, L’indigénat, op. cit., p. 265.
94. En Nouvelle-Calédonie, les gendarmes (corps militaire chargé de missions de police en zones rurales) exerçaient également des responsabilités déléguées d’agents pour des services de l’administration locale tels que les Affaires indigènes ou l’Immigration.
95. Voir Bastien Bosa, Julie Pagis et Benoît Trépied, « Le passing : un concept pour penser les mobilités sociales », Genèses, 114-1, 2019, p. 5-9.
96. ANC, 23WC15, Cougoul au Gouverneur, 19 févr. 1917.
97. ANC, E-DC9 2D1, [Commission municipale de Koné] au Procureur de la République, 3 juin 1929.
98. Commission du Pacifique Sud, Manuscrits des îles du Pacifique, no 53, Conférence des natas, Poyes, 1929.
99. I. Merle et A. Muckle, L’indigénat, op. cit., p. 302.
100. Koné, État civil, tables décennales.
101. M. Salaün, L’école indigène, op. cit., p. 58-60.
102. AAN, 46.1, Jules Halbert à Monseigneur, Koné, 31 mars 1927.
103. Tiaoué, État civil, Acte de naissance de Loulou Bernard, 23 août 1935.
104. I. Merle et A. Muckle, L’indigénat, op. cit., p. 402-403.
105. Benoît Trépied, entretien avec Gathélia Wabéalo, Pouembout, 12 juill. 2016.
106. Jean Guiart, Les Mélanésiens devant l’économie de marché. Du milieu du xixe siècle à la fin du millénaire, Nouméa, Le Rocher-à-la-Voile, 1998, p. 56 ; voir Sonia Grochain, « Les Kanak et le travail en Province Nord de la Nouvelle-Calédonie », thèse de doctorat, EHESS, 2007, p. 176.
107. Sur le déclin du secteur du café, voir Alain Saussol, « Le café en Nouvelle-Calédonie. Grandeur et vicissitude d’une colonisation », Les cahiers d’outre-mer, 20-79, 1967, p. 275-305, ici p. 294-298 ; B. Trépied, Une mairie dans la France coloniale, op. cit., p. 230-232.
108. Documents familiaux d’Évelyne Henriot, Acte de succession d’Auguste Henriot, 1958.
109. Sur le poids historique du non-dit en Nouvelle-Calédonie, voir Louis-José Barbançon, Le pays du non-dit. Regards sur la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, éditions Humanis, [1992] 2019.
110. Benoît Trépied, entretien avec Évelyne Henriot, Nouméa, 7 juill. 2016.
111. J.-M. Estournès, « La saga Henriot », op. cit., p. 130.
112. Benoît Trépied, entretien avec Yvon Goromoedo, Koné, 18 juill. 2016.
113. Benoît Trépied, entretien avec Évelyne Henriot, Nouméa, 7 juill. 2016.
114. Benoît Trépied, « Nouveaux regards sur la situation coloniale en Nouvelle-Calédonie », in L. Dousset, B. Glowczewski et M. Salaün (dir.), Les sciences humaines et sociales dans le Pacifique Sud. Terrains, questions et méthodes, Marseille, Pacific-credo Publications, 2014, p. 229-248.
115. Martha Hodes, « The Mercurial Nature and Abiding Power of Race: A Transnational Family Story », American Historical Review, 108-1, 2003, p. 84-118, ici p. 85.
116. A. L. Stoler, « Tense and Tender Ties », art. cit., p. 829. Voir également V. Riou, « Trajectoires pseudo-coloniales », op. cit., p. 441-442.
117. Dans la droite ligne du fameux concept de l’« exceptionnel normal » en microhistoire. Voir Edoardo Grendi, « Micro-analyse et histoire sociale [1977] », Écrire l’histoire, 3, 2009, p. 67-80 ; Ivan Ermakoff, « La microhistoire au prisme de l’exception », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 139-3, 2018, p. 193-211 ; J.-C. Passeron et J. Revel (dir.), Penser par cas, op. cit.
118. Solène Brun, « La socialisation raciale : enseignements de la sociologie étatsunienne et perspectives françaises », Sociologie, 13-2, 2022, p. 199-217.
119. En s’appuyant notamment sur les travaux consacrés au métissage en France et au « passing racial » aux États-Unis, par exemple, voir S. Brun, Derrière le mythe métis, op. cit. ; Benoît Trépied, « Des Noirs qui passent pour Blancs ? Enjeux analytiques et méthodologiques des enquêtes sur le passing aux États-Unis », Genèses, 114-1, 2019, p. 96-116.