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Caractériser les spécificités de l’apprentissage intergénérationnel à travers un atelier pilote en contexte universitaire

Published online by Cambridge University Press:  08 May 2025

Béatrice Crettenand Pecorini*
Affiliation:
Université d’Ottawa, Faculté d’éducation, 145 Jean-Jacques-Lussier Private, Ottawa, ON K1N 9A8 Canada
Emmanuel Duplàa
Affiliation:
Université d’Ottawa, Faculté d’éducation, 145 Jean-Jacques-Lussier Private, Ottawa, ON K1N 9A8 Canada
Anne Vallely
Affiliation:
Université d’Ottawa, Faculté des Arts, 60, rue Université, Ottawa, ON, K1N 6N5 Canada
*
Corresponding author: La correspondance et les demandes de tirés à part doivent être adressées à : / Correspondence and requests for offprints should be sent to: Béatrice Crettenand Pecorini, Université d’Ottawa, Faculté d’éducation, 145 Jean-Jacques-Lussier Private, Ottawa, ON K1N 9A8 Canada ([email protected])
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Résumé

Notre société segmentée par l’âge offre peu de possibilités d’interactions intergénérationnelles authentiques. Cela contribue aux stéréotypes et préjugés envers les personnes de tous âges, particulièrement les adultes aînés. Pour favoriser une société plus inclusive et lutter contre l’âgisme, un changement de paradigme sociétal devient nécessaire. À partir d’une recherche basée sur la conception et l’apprentissage intergénérationnel, nous avons cherché à mieux caractériser ces apprentissages afin de développer des formations spécifiques pour les appuyer. Basé sur un questionnaire préliminaire (n=79), nous avons conçu un atelier pilote (français/anglais) avec huit adultes aînées et huit jeunes adultes au cours duquel les participants ont dû réaliser en binôme une vidéo sur TikTok. Nos résultats indiquent que l’apprentissage intergénérationnel doit se fonder sur une pédagogie active, les activités et les objectifs pédagogiques doivent être multiples pour être réalisées en binômes intergénérationnels, le format doit permettre de développer une relation de confiance et l’évaluation doit être personnelle.

Abstract

Abstract

Our age-segmented society provides few opportunities for authentic intergenerational interactions contributes to misconceptions of and biases against people of all ages, particularly the older adults. To foster a more inclusive society, and fight against ageism, we must rethink societal organization by creating intergenerational links. From a design-based research approach, and through the concept of intergenerational learning, we sought to better characterize the constituents of intergenerational learning and to develop specific training to support it. Based on a preliminary questionnaire (n=79), we designed a pilot workshop (French/English) with eight older adults and eight young adults during which the participants had to make a collaborative video on TikTok. Our results indicate that intergenerational learning must be based on active pedagogy, the activities and educational objectives must be multiple to be carried out in intergenerational pairs, the format must allow the development of a relationship of trust, and the evaluation must be personal.

Type
Article
Creative Commons
Creative Common License - CCCreative Common License - BY
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Copyright
© Canadian Association on Gerontology 2025

1. Introduction et contexte

Le reversement de la courbe démographique est une réalité mondiale dans les pays industrialisés. Cette nouvelle répartition des âges a des conséquences sur la société dans différents domaines, tels que l’économie, la santé, le marché du travail ou encore les loisirs. Les valeurs sociales occidentales aujourd’hui largement partagées comme la productivité, la performance et l’utilité ne sont que très rarement associés aux personnes aînées (Hazif-Thomas et al., Reference Hazif-Thomas, Thomas and Walter2011). Cela renvoie à l’âgisme, cette discrimination par l’âge, qui peut également concerner des personnes de tout âge et qui peut se retrouver tant dans les relations interpersonnelles qu’institutionnelles (Macnicol, Reference Macnicol2010). Pour réduire toutes les formes d’âgisme et permettre une représentation sociale plus juste des aînés, l’OMS (2021) propose trois stratégies qui ont démontrés leur efficacité : les lois et les politiques, les activités éducationnelles ainsi que les activités intergénérationnelles. Ces deux dernières stratégies sont également des pistes intéressantes pour réussir la transition démographique de ce début de siècle, en renforçant les liens entre les générations dans la vie sociale et favorisant l’inclusion sociale (Berrut, Reference Berrut2020). En effet, faire rencontrer les générations dans les programmes intergénérationnels pourrait réduire la perception de stéréotypes sur les autres générations (Barbosa et al., Reference Barbosa, Campinho and Silva2021; Pentecouteau et Eneau, Reference Pentecouteau and Eneau2017), renforcer la solidarité intergénérationnelle et contribuer à développer le capital et la cohésion sociale (Topping, Reference Topping2020).

À partir de ces constats et afin de permettre aux générations de se rencontrer et apprendre à se connaître, nous avons travaillé à partir du concept d’apprentissage intergénérationnel pour mettre sur pied un atelier intergénérationnel. Comment mieux caractériser ce que sont les apprentissages intergénérationnels afin de développer des formations spécifiques pour les appuyer ? Quelles sont les propriétés pour un atelier intergénérationnel idéal en milieu universitaire ? Ce sont à ces interrogations que nous avons souhaité répondre avec la mise en place d’un atelier intergénérationnel pilote, précédé d’une évaluation par questionnaire pour mieux saisir les besoins, les envies et les disponibilités des participants, ainsi que d’une rencontre post-atelier pour l’évaluation. Les résultats de notre recherche, fondée sur la conception, nous ont permis de formuler des propositions de recommandations pratiques concernant l’organisation d’ateliers intergénérationnels en milieu universitaire. Nous espérons que ces recommandations seront pertinentes et transférables à d’autres initiatives d’apprentissage intergénérationnel.

2. Relations et apprentissages intergénérationnels

Les apprentissages intergénérationnels passent par les relations intergénérationnelles qui ne sont pas spontanées : il ne suffit pas de mettre en contact deux générations pour avoir une relation harmonieuse. La littérature nous révèle que de mieux comprendre les relations intergénérationnelles (Kaplan et al., Reference Kaplan, Thang, Sánchez and Hoffman2020) et ses bénéfices (Barbosa et al., Reference Barbosa, Campinho and Silva2021 ; Kaplan et al., Reference Kaplan, Thang, Sánchez and Hoffman2020 ; Pentecouteau et Eneau, Reference Pentecouteau and Eneau2017) tout comme décoder les méthodes d’enseignement propre à l’apprentissage intergénérationnel (Topping, Reference Topping2020) devrait permettre de développer une société plus cohésive, plus respectueuse tant des traditions que des différences culturelles, ouverte à l’apprentissage tout au long de la vie par un partage des connaissances.

2.1 Les relations intergénérationnelles et leurs bénéfices

En dehors de la famille, dans les sociétés occidentales, le monde du travail représente l’un des rares lieux de rencontres intergénérationnelles (Riffaud, Reference Riffaud2007). Les possibilités de contact entre les jeunes adultes et les adultes aînés en dehors de ce cadre ne sont pas nombreuses dans une société de segmentée sur la base des âges (Drury et al., Reference Drury, Hutchison and Abrams2016). Pour faciliter les relations entre groupes dans une Amérique marquée par la ségrégation scolaire, Gordon Allport développe en 1954 la théorie du contact intergroupe (Pettigrew, Reference Pettigrew1998). Celle-ci propose que le contact entre membres de groupes différents peut réduire les préjugés et conflits, à condition qu’il y ait égalité de statut, coopération, buts communs et soutien institutionnel (Pettigrew et Tropp, Reference Pettigrew and Tropp2006). Il est important d’en tenir compte dans les projets intergénérationnels.

Les bénéfices des relations intergénérationnelles dans le cadre de programmes dédiés spécifiquement à la mixité des générations sont multiples. Pour les enfants et les jeunes, des études soulignent l’amélioration de l’estime de soi, la promotion d’un mode de vie plus sain, un engagement plus marqué pour les études et une diminution des taux d’abandon scolaire, la prévention des comportements à risque (alcool, drogue, violence), la promotion du respect d’autrui et le développement de compétences sociales (Barbosa et al., Reference Barbosa, Campinho and Silva2021 ; Pentecouteau et Eneau, Reference Pentecouteau and Eneau2017). Les gains pour les adultes aînés seraient l’augmentation du bien-être, une diminution de la vulnérabilité à la maladie mentale, une augmentation du sentiment d’utilité à la société, la satisfaction de trouver un sens à leur vie, une augmentation des relations sociales qui diminuent le sentiment de solitude et d’isolement (Barbosa et al., Reference Barbosa, Campinho and Silva2021). Les avantages communs sont l’augmentation du niveau d’engagement civique, l’enrichissement du sentiment d’accomplissement personnel, le renforcement du sentiment de fierté et d’identité culturelles et une diminution de l’âgisme (Barbosa et al., Reference Barbosa, Campinho and Silva2021 ; Kaplan et al., Reference Kaplan, Thang, Sánchez and Hoffman2020). Une façon de favoriser les relations intergénérationnelles est de mettre en contact différentes générations, par exemple dans un projet d’apprentissage commun.

2.2 L’apprentissage intergénérationnel

La Fédération des aînés et aînées francophones du Canada distingue l’« intergénération » comme des générations voisines, mais sans nécessairement des échanges directs, de l’« intergénérationnel », qui implique des relations dynamiques apportant bien-être et bienfaits mutuels (Duguay, Reference Duguay2007). Dans un cadre collaboratif, cette dynamique est essentielle pour l’apprentissage intergénérationnel, favorisant un apprentissage partagé et bénéfique pour tous (Cartmel et al., Reference Cartmel, Radford, Dawson, Fitzgerald and Vecchio2018). L’importance des relations et ainsi que de l’apprentissage actif et collaboratif sont également vu par Fitzpatrick (Reference Fitzpatrick, Kernan and Cortellesi2019) comme deux concepts primordiaux. Ces relations contribuent à une meilleure compréhension et un plus grand respect entre les générations et de ce fait, à développer le capital et la cohésion sociale dans nos sociétés vieillissantes. La transmission du savoir peut être descendante (des aînés aux jeunes) ou ascendante (Shimada et Dameron, Reference Shimada and Dameron2016).

Trois éléments caractérisent les projets d’apprentissage intergénérationnel : la participation de générations différentes, les bénéfices pour tous (personnes impliquées et société) et des relations fondées sur le partage (Sánchez, Reference Sánchez2008). Cartmel et collaborateurs (2018) soulignent aussi l’importance de relations « sûres, respectueuses et réciproques », tout en intégrant la diversité des générations et l’équité dans l’apprentissage continu. Les apprentissages intergénérationnels dépassent le simple transfert de savoir et savoir-faire, c’est également un processus de construction et négociation d’un savoir-être où les émotions jouent un rôle considérable (Shimada et Dameron, Reference Shimada and Dameron2016). En créant un espace sécuritaire, ces interactions favorisent la découverte de l’autre, la compréhension de ses perspectives, mais sans nécessairement les adopter (Boström et Schmidt-Hertha, Reference Boström and Schmidt-Hertha2017). Cette prise en compte des relations, de la reconnaissance de l’expérience et du processus d’apprentissage, mais également des conditions et des contextes, est corrélée au paradigme du constructionnisme social qui a guidé notre recherche.

L’apprentissage intergénérationnel, en contribuant à la promotion de la solidarité et de la citoyenneté, tant pour les générations en contact que pour la société en général, peut prendre différentes formes (Pentecouteau et Eneau, Reference Pentecouteau and Eneau2017). La littérature nous offre de nombreux exemples : les réseaux d’échanges réciproques de savoir (Héber-Suffrin, Reference Héber-Suffrin2011), les réseaux communautaires avec une approche socialement inclusive pour la cohésion sociale (Hatton-Yeo et Batty, Reference Hatton-Yeo, Batty, Newman and Ratcliffe2011), les projets d’apprentissages intergénérationnels dans les universités (Zucchero, Reference Zucchero2010), le tutorat intergénérationnel (Topping, Reference Topping2020) ou la gérontologie narrative numérique où la confiance réciproque entre générations est primordiale (Crettenand Pecorini et Duplàa, Reference Crettenand Pecorini and Duplàa2020).

2.3 Vers une pédagogie de l’apprentissage intergénérationnel

L’apprentissage est une aptitude humaine innée qui doit être entretenue tout au long de la vie, y compris à un âge plus avancé avec une approche pédagogique adaptée, en reconnaissant aux adultes aînés « leur rôle au sein de la société et contribuant à représenter le vieillissement sous un jour plus positif » (UNESCO, 2021, p. 8). L’apprentissage intergénérationnel fait partie de l’apprentissage tout au long de la vie où les générations œuvrent collectivement pour acquérir des compétences, des valeurs et des connaissances qui leur sont mutuellement bénéfiques. La prise en compte des dimensions sociodémographiques, biographiques et psychologiques des apprenants contribue à soutenir et stimuler les dispositions à apprendre, particulièrement chez les adultes (Carré, Reference Carré and Frétigné2020). Les apprentissages des adultes aînés ne répondent pas aux mêmes impératifs que ceux de la pédagogie ou de l’andragogie, mais plutôt à ceux de la gérontagogie.Footnote 1 Pour Lemieux et collaborateurs (Reference Lemieux, Boutin and Riendeau2007), la gérontagogie est « l’acquisition de la sagesse pour une meilleure gestion de la vie personnelle et sociale de la personne âgée » (p. 755) qui est l’une de ses caractéristiques. Ruchat (Reference Ruchat and Kern2013) ajoute une autre caractéristique avec le bien-vieillir qui devrait être la préoccupation des sciences de l’éducation pour les personnes vieillissantes. On retrouve l’aspect de la vie sociale avec Kern (Reference Kern2013) pour qui c’est surtout le maintien ou le développement du lien social qui prime dans les activités de formation pour les adultes aînés, lien social que l’on retrouve dans les activités intergénérationnelles (Aguilera-Hermida et al., Reference Aguilera-Hermida, Anderson and Negrón2020 ; Boström et Schmidt-Hertha, Reference Boström and Schmidt-Hertha2017).

La mise sur pied d’activités d’apprentissage intergénérationnel fait donc appel aux bases théoriques de la pédagogie, de l’andragogie et de la gérontagogie, dont il faut tenir compte lors de la planification. La spécificité du public cible plus âgé demande aux organisateurs des apprentissages intergénérationnels (enseignants, professeurs, travailleurs sociaux, animateurs, etc.) de « prendre en compte ce que signifie réellement être âgé et ce qu’implique le vieillissement » (UE et Erasmus, 2020, p. 28). Dans le tutorat intergénérationnel, Topping (Reference Topping2020) voit les professionnels qui accompagnent les paires (un jeune et un adulte aîné) qui travaillent ensemble comme des guides qui identifient les difficultés des paires et apportent des solutions pour maximiser les échanges et les apprentissages. Cependant, Fitzpatrick (Reference Fitzpatrick, Kernan and Cortellesi2019) se questionne si l’apprentissage intergénérationnel demande des praticiens formés spécifiquement et si cette approche d’apprentissage intergénérationnel ne risque pas d’être limitée par cette condition. Les théories liées aux apprentissages intergénérationnels sont multiples, encore peu documentées par rapport aux nombreuses pratiques, couvrant toutes les périodes de la vie – des tous petits aux plus âgés – appliquées dans des contextes très variés et il est dès lors difficile de construire des bases de connaissances solides (Fitzpatrick, Reference Fitzpatrick, Kernan and Cortellesi2019).

2.4 Les enjeux et impacts des apprentissages intergénérationnels

Un enjeu majeur des apprentissages intergénérationnels est la relation entre les générations ; si la relation est harmonieuse, les bénéfices comme la diminution de l’âgisme ou le transfert des savoirs, savoir-faire et des valeurs, conduisent à la solidarité intergénérationnelle (Fitzpatrick, Reference Fitzpatrick, Kernan and Cortellesi2019). Un autre enjeu est de fournir une formation adaptée qui doit tenir compte des personnes aînées tout comme des adultes ou des enfants.

Les apprentissages intergénérationnels peuvent avoir un impact sur les connaissances et les compétences, sur une meilleure compréhension et un plus grand respect entre les générations, sur la santé, les activités artistiques et récréatives, sur la réduction de l’isolement par les relations sociales, mais aussi sur le sentiment d’accomplissement, de fierté et d’estime de soi, d’être valorisé, accepté et respecté, tout comme sur l’identité culturelle (Kaplan et al., Reference Kaplan, Thang, Sánchez and Hoffman2020). C’est ce qui a motivé notre équipe interdisciplinaire de mettre sur pied un atelier pilote intergénérationnel.

3. Méthodologie

Afin de développer des formations spécifiques pour appuyer les apprentissages intergénérationnels, nous avons basé notre recherche sur la conception (Design-based Research ; Anderson, Reference Anderson2005) pour répondre à nos objectifs de mieux caractériser ce que sont les apprentissages intergénérationnels et de définir les propriétés pour un atelier intergénérationnel idéal en milieu universitaire. Un certificat d’éthique, délivré par le comité d’éthique de l’Université d’Ottawa, a couvert toute cette recherche.

Avant de rappeler la méthode et les quatre étapes d’une recherche basée sur la conception, nous exposons notre paradigme épistémologique en lien avec l’apprentissage intergénérationnel.

3.1 Le constructionnisme social et l’intergénérationnel

La relation est au cœur des apprentissages intergénérationnels, dans un échange mutuel de connaissances et d’expériences (Fitzpatrick, Reference Fitzpatrick, Kernan and Cortellesi2019). Le constructionnisme repose sur l’idée que les apprenants – constructeurs actifs de leur propre savoir – sont encouragés à explorer, manipuler et expérimenter dans un environnement qui favorise l’apprentissage, avec un rôle différentié de l’enseignant tel que traditionnellement identifié (Burr, Reference Burr2003). Dans les apprentissages intergénérationnels, il n’y a pas d’enseignant à proprement parler, il y a au plus un facilitateur ou un organisateur pour permettre la rencontre des générations (Topping, Reference Topping2020; UE et Erasmus, 2020). Comme il existe de nombreuses réalités différentes construites dans des contextes historiques et culturels différents sans qu’il n’y ait aucun moyen de soutenir que l’une ou l’autre de ces réalités est la bonne (Burr, Reference Burr2003), le constructionnisme permet aux générations en contact de confronter ces réalités. Ces réalités dépendent également de la temporalité, les références personnelles en lien avec son propre vécu (expériences) seront différentes étant donné la nature de l’âge des personnes de génération différentes en contact.

Le constructionnisme peut être particulièrement adapté pour les apprentissages intergénérationnels, en encourageant les apprenants de toutes les générations à collaborer et travailler ensemble pour résoudre des problèmes, créer, apprendre et transmettre des connaissances de façon transgénérationnelle, mais aussi pour construire leur propre savoir et leur compréhension du monde qui les entoure. Sur le plan de la recherche, le constructionnisme sous-tend une épistémologie interprétativiste pour laquelle les méthodes interventionnistes de recherche-action sont bien adaptées (Ward et al., Reference Ward, Hoare and Gott2015).

3.2 Les quatre étapes de la recherche basée sur la conception

La recherche basée sur la conception est une méthode fondée sur une intervention, reliant la recherche et la pratique (Christensen et West, Reference Christensen, West and West2017). Elle est souvent utilisée en éducation pour mener des recherches en développant et en évaluant des interventions dans des contextes éducatifs réels (Anderson, Reference Anderson2005). McKenney et Reeves (Reference McKenney, Reeves, Dans, Merrill, Elen and Bishop2014) utilisent le terme plus spécifique de recherche basée sur la conception pédagogique et notent que cette méthode permet d’aboutir à des solutions comme des processus, des programmes ou des politiques éducatives. La recherche basée sur la conception est fondée sur une intervention et des itérations, ce qui la classe de fait dans la famille des recherches-action : elle vise à améliorer un processus. Selon Anderson (Reference Anderson2005), une recherche basée sur la conception comporte quatre étapes :

  1. 1. Exploration éclairée à partir de la littérature – y compris des rapports, d’extrapolations théoriques et l’apport des participants potentiels.

  2. 2. Conception et mise en œuvre de l’intervention qui est construite en tenant particulièrement compte des résultats de l’étape 1.

  3. 3. Évaluation formative de l’intervention, avec des données principalement qualitatives qui vont permettre d’évaluer les impacts multiples, en lien direct avec le contexte spécifique de l’intervention.

  4. 4. Évaluation quantitative plus large de l’impact dans des contextes multiples, afin de théoriser son effet et d’améliorer la conception dans des contextes toujours plus larges et plus généralisables.

La recherche basée sur la conception ouvre deux perspectives (figure 1) : la théorisation (étape 4) après avoir conduit avec succès les étapes précédentes ; et la reprise du cycle lorsque l’évaluation plus large ne permet pas la théorisation et qu’il faut améliorer la conception.

Figure 1. La recherche basée sur la conception en tant que processus continu d’innovations (Fraefel, Reference Fraefel2014). Tiré de Professionalization of pre-service teachers through university-school partnerships par U. Fraefel, Reference Fraefel2014, Conférence WERA Focal Meeting, Edinburgh, Royaume-Uni. © 2014 par Urban Fraefel. Reproduit et traduit avec autorisation.

La recherche basée sur la conception se fonde donc sur des méthodes mixtes, alliant recherche qualitative et recherche quantitative. Bien que cet alliage soit adapté au constructionnisme et à son épistémologie, la recherche basée sur la conception peut parfois être critiquée sur son aspect scientifique, notamment par les approches quantitatives néopositivistes en psychologie expérimentale. La scientificité de la partie quantitative de la méthode est généralement reconnue, tandis que la partie qualitative liée à l’intervention suscite davantage de critiques (Blessing et Chakrabarti, Reference Blessing and Chakrabarti2009). Tandis que la partie quantitative permet d’atteindre une généralisation scientifique via une validité externe, la partie qualitative prétend également à une dimension scientifique en s’appuyant sur la transférabilité des résultats par la viabilité interne de la recherche (Ayerbe et Missonier, Reference Ayerbe and Missonier2007). De plus, la partie qualitative liée au développement de l’intervention assure une éthique de la recherche en éducation via l’intégration des participants, puisque ceux-ci sont humains (Gohier, Reference Gohier2004). En ce sens, la méthode de la recherche basée sur la conception est scientifique.

Nos étapes de recherches ont été les suivantes :

3.2.1 Étape 1

L’étape 1 s’est déroulée en deux sous-étapes : (1) une prospection littéraire et documentaire, ainsi qu’une meilleure compréhension de la situation actuelle sur les programmes offerts aux adultes aînés de la région d’Ottawa par des rencontres exploratoires; puis (2) l’élaboration, la distribution et l’évaluation d’un questionnaire pour mieux définir les paramètres du public cible et de l’intervention.

Pour la sous-étape 1, mais aussi pour parler de notre initiative d’apprentissage tout au long de la vie de l’Université d’Ottawa, nous avons rencontré les directions de quatre organismes actifs avec des adultes aînés de la région d’Ottawa. Il y a eu deux rencontres en ligne par Zoom (période COVID-19), une pour chaque langue (français/anglais). Ces rencontres virtuelles ont permis de découvrir les programmes existants dans la région, de compléter le répertoire des associations, organisations et institutions spécifiques pour les adultes aînés, d’aborder les thèmes potentiels pour des ateliers et de profiter de leurs expériences pour les conseils et autres recommandations quant à l’organisation d’ateliers et de rencontres avec des adultes aînés. Les discussions ont également porté sur la situation des adultes aînés en Ontario, sur les problématiques des relations sociales durant la pandémie et la difficulté d’avoir un dialogue intergénérationnel en lien avec les apprentissages tout au long de la vie. Ces informations nous ont permis de construire le questionnaire de la sous-étape 2. Avec le consentement des participants, les deux rencontres ont été enregistrées, ce qui a permis de les transcrire et d’en faire un compte-rendu.

Grâce à notre répertoire d’adresses mieux fourni, nous avons communiqué avec divers organismes d’adultes aînés/retraités de la région d’Ottawa, et suivant leurs décisions, ils ont pu faire le choix de transmettre le questionnaire sous forme de sondage Google Form à leurs membres. Le questionnaire contenait 16 questions (choix multiples, ouvertes, échelle de Lickert) et le temps estimé était de dix minutes pour le remplir. L’introduction du questionnaire faisait référence aux modalités de la recherche. Le consentement à la participation a été obtenue à partir du questionnaire. La première partie concernait les données démographiques, puis venait les questions en lien direct avec le contenu de l’atelier. Finalement, les personnes intéressées pouvaient déclarer leur intérêt pour participer au projet d’atelier pilote (étape 2). Nous avons rédigé le questionnaire en français et en anglais. Les participants ont pu répondre entre décembre 2020 et janvier 2021. Aucune compensation n’a été prévue. Nous avons reçu 80 questionnaires en retour, dont 79 étaient exploitables. Le report des données quantitatives a été réalisé sur un fichier Excel, tout comme le contenu des deux questions ouvertes. Le codage a été révisé par le deuxième rechercheur, ce qui a permis de nettoyer les données en co-arbitrage afin d’assurer la rigueur, la fiabilité et la persistance attendue et ne pas dénaturer les données. Les données quantitatives ont été analysées à l’aide du logiciel JASP, nous avons réalisé des analyses descriptives, des Chi2 et des ANOVAS entre les différentes variables.

3.2.2 Étape 2

Pour l’étape 2, nous avons créé un prototype d’atelier intergénérationnel en fonction des réponses du questionnaire préliminaire et appuyé par la littérature.

Pour le recrutement, les adultes aînés étaient issus des personnes qui avaient répondu positivement à la demande du premier questionnaire exploratoire pour participer à « l’atelier virtuel intergénérationnel » et qui signalait clairement la composante numérique. Les jeunes adultes ont été recrutés parmi les étudiants de l’Université d’Ottawa, pour certains, membres de l’Institut LIFE, pour d’autres, du groupe d’étudiants AÉSI (Aînés et étudiants pour le soutien intergénérationnel). Les participants potentiels ont reçu un courriel avec un dépliant promotionnel indiquant l’organisateur, les dates et les horaires, les thèmes abordés (spiritualité et parcours de vie ; utilisation du réseau social TikTok ; développer des connaissances en apprentissage intergénérationnel), les prérequis (connaissances de base en informatique ; avoir accès à un téléphone intelligent ; disponible pour effecteur le travail intergénérationnel demandé entre les deux ateliers), ainsi que l’adresse de contact de l’équipe de recherche. Les personnes ayant répondu positivement pour participer à cet atelier ont donné leur accord pour l’utilisation des données récoltées et nous avons garanti que les vidéos partagées dans le groupe sur TikTok ne seraient pas publiées ou partagées sans leur accord.

L’atelier pilote a été donné en ligne par Zoom (figure 2), en français puis en anglais (deux rencontres de 1 heure 30, le 12 et 19 février 2021) à des horaires différents pour les deux groupes linguistiques afin de respecter le choix de la langue des participants. Chaque groupe était composé de quatre adultes aînésFootnote 2 et quatre jeunes adultes, donc un total de 16 participants. Nous avons fourni un guide d’utilisation illustré pour les personnes qui n’étaient pas familières avec Zoom.

Figure 2. Schéma récapitulatif de l’atelier pilote intergénérationnel de l’étape 2 (© 2023, Crettenand Pecorini et al.).

Durant les sept jours entre les deux rencontres, chaque binôme « adulte aîné – jeune adulte » qui a été formé en direct lors de la première rencontre – a dû réaliser une vidéo TikTok en mode double. Les participants ont clairement été informés du mode confidentiel des vidéos (partage privé) et après discussions et explications, aucun participant n’a refusé la tâche.

Lors de la seconde rencontre où tous les participants étaient présents, les vidéos réalisées ont été présentées, suivis de discussions. Toutes les rencontres virtuelles ont été enregistrées avec le consentement des participants.

3.2.3 Étape 3

L’étape 3 a été divisée en deux sous-étapes : (1) l’évaluation « à chaud » de l’expérience vécue échangée lors de la seconde rencontre et (2) l’évaluation par questionnaire et focus group post-expérience. Suite à l’évaluation « à chaud », un rapport a été rédigé en fonction des questions abordées et qui reprenaient certaines thématiques du questionnaire préliminaire (durée et horaires idéaux, thématiques, crédits universitaires, etc.) ainsi que celles propre à l’atelier (nombre de rencontres du binôme, organisation au sein du binôme, choix du sujet, etc.). Vu le nombre restreint de participants, l’organisation des données récoltées n’a pas nécessité l’usage d’un logiciel, les réponses ont été regroupées par thématiques dans des onglets distincts sur Excel.

Le questionnaire d’évaluation qui comportait 28 questions (choix multiples, ouvertes, échelle de Lickert) a été rempli par les 16 participants fin mars 2021. Le questionnaire contenait une partie démographique, une partie en lien avec les apprentissages réalisés et les thèmes de l’atelier, puis sur l’expérience en binôme et finalement, sur l’impact de l’atelier. Nous avons également organisé deux focus group (toujours en ligne sur Zoom) où les participants ont été invités en groupe (selon leur langue) pour partager leur vécu. Les rencontres virtuelles ont été enregistrées avec le consentement des participants.

Les données du questionnaire ont été rapportées sur un fichier Excel. Vu la taille restreinte de cet échantillon, aucune analyse quantitative n’a été réalisée. Le rapport des focus group a été rédigé sur le même modèle que celui l’évaluation « à chaud ». Une carte-cadeau Paypal de 25,00 $ a été proposée aux participants qui le souhaitaient.

3.2.4 Étape 4

Nous n’avons pas réalisé la 4e étape selon Anderson (Reference Anderson2005). Notre recherche étant un projet pilote, il n’a pas été reproduit à plus grande échelle sous cette forme pour une évaluation plus large. Mais nos résultats vont conduire à la mise en place d’un format de cours pérenne qui permettra ce type d’évaluation quantitative.

4. Résultats

Les résultats présentés sont issus des analyses des réponses au questionnaire préliminaire de l’étape 1, de l’évaluation « à chaud », du questionnaire d’évaluation et des focus group de l’étape 3.

4.1 Étape 1

Sur les 80 questionnaires reçus de la part des adultes aînés, 79 ont été exploitables. Le tableau 1 résume la partie démographique.

Tableau 1. Synthèse des réponses démographiques du questionnaire préliminaire auprès des adultes aînés [N=79].

4.1.1 Durée et horaire idéaux

Nous nous sommes intéressés à savoir quels seraient la durée et l’horaire idéaux d’un atelier de plusieurs sessions pour notre public cible. Une large majorité préfère suivre une session une fois par semaine sur une période de deux semaines ou sur une période d’un mois. L’option de deux sessions sur une semaine est la moins sollicitée. Le temps à consacrer à une session est idéalement 1 h 30 pour les plus nombreuses réponses, suivies par 1 h et 2 h pour les suivantes. Rappelons ici qu’il s’agissait d’ateliers en ligne dus à la pandémie.

4.1.2 Intérêt pour les thèmes proposés

Les thèmes des ateliers demeurent certainement une motivation majeure et nous avons proposé une liste de sujets en fonction de la littérature et des recommandations des groupes de discussion de l’étape 1. La figure 3 montre le classement du plus grand au plus faible intérêt des sujets en considérant les réponses « très intéressé. e » et « intéressé. e ».

Figure 3. Intérêts des adultes aînés selon les sujets proposés pour les ateliers intergénérationnels [n=79]

Le questionnaire a permis aux personnes de proposer d’autres sujets d’intérêt. 12 personnes ont répondu. Les sujets rapportés ont été en lien avec la santé mentale et physique, les politiques gouvernementales face aux aînés et les humanités en général.

4.1.3 Intérêt pour les crédits universitaires

Une autre question qui nous intéressait par rapport à des ateliers conduits dans une université était de savoir si les participants adultes aînés souhaitaient recevoir des crédits universitaires. Environ ¼ démontre un intérêt, la grande majorité ne recherche pas spécifiquement des crédits en venant suivre des ateliers à l’université.

4.1.4 Accord pour travailler en binôme intergénérationnel

La question intergénérationnelle est au cœur de notre recherche et nous souhaitions savoir si les adultes aînés étaient prêts à travailler en binôme avec de jeunes adultes. Nos résultats démontrent que plus les personnes sont âgées, plus elles sont en accord pour travailler en binôme avec des personnes plus jeunes (F=43,95 ; n=76 ; p < .001).

4.1.5 Corrélation entre le niveau d’éducation et la possession d’un ordinateur

La période de pandémie a demandé une adaptation dans de nombreux domaines et l’ordinateur a été un outil très utile pour de nombreuses personnes. Nous avons donc voulu savoir si les personnes interrogées en possédaient un. Nos résultats démontrent une corrélation entre le niveau d’éducation et le fait de posséder un ordinateur (figure 4). Il semble donc que plus les adultes aînés ont un niveau d’éducation élevé, plus ils sont enclins à posséder un ordinateur. Cependant, nous reconnaissons ici un biais de sélection potentiel, car les participants devaient au minimum avoir une tablette, un téléphone intelligeant ou un ordinateur pour répondre au questionnaire.

Figure 4. Relation entre le niveau d’éducation et le fait de posséder un ordinateur [n=79].

4.1.6 Corrélation entre le confort d’utilisation d’un ordinateur et la langue parlée

Nous avons également trouvé une corrélation entre le niveau de confort de l’utilisation de l’ordinateur et le fait d’être bilingue. Les personnes bilingues semblent en effet plus à l’aise dans l’utilisation d’un ordinateur (X2=43.13 ; n=78 ; p < .001).

4.2 Étape 2

À partir des résultats du questionnaire préliminaire, nous avons déterminé la durée de l’atelier (1 h 30), l’intervalle entre les deux rencontres (une semaine), ainsi que le sujet de la présentation. Afin de favoriser les relations intergénérationnelles (Fitzpatrick, Reference Fitzpatrick, Kernan and Cortellesi2019), nous avons fait le choix de faire travailler le groupe par paire « adulte aîné – jeune adulte ». Les 16 participants à l’atelier pilote intergénérationnel ont donc été répartis en quatre binômes « adulte aîné – jeune adulte ». La composition des binômes s’est faite spontanément : lors de la première rencontre, les adultes aînés ont choisi avec quel jeune adulte ils allaient travailler.

4.2.1 Profil des participants à l’atelier pilote

Les âges allaient de moins de 30 ans à 79 ans. Les participants provenaient de l’Ontario [10], du Québec [5] et de la Nouvelle-Ecosse [1]. Les diplômes les plus élevés ont été un (1) pour le secondaire, un (1) pour le collégial, six pour le baccalauréat, six pour la maîtrise, un (1) pour le doctorat et un (1) pour autre. Si l’on soustrait les huit étudiants universitaires, cela représente six adultes aînés sur huit qui ont fait des études universitaires (baccalauréat : 2 ; maîtrise : 3 ; doctorat : 1).

4.2.2 Activité pratique

L’activité pratique a été orientée en fonction des discussions que nous avons eues avec les organisations d’aînés de la région d’Ottawa que nous avions rencontré, mais principalement à partir des réponses du questionnaire préliminaire [n=79].

L’activité pratique devait être réalisée en binôme. La seule contrainte pour la réalisation de la vidéo était que les deux partenaires devaient apparaître sur la vidéo, malgré l’impossibilité de se rencontrer en présence physique. Volontairement, très peu d’instructions ont été données aux participants qui ont dû choisi eux-mêmes les modalités des rencontres et de création. Comme nous envisageons à travers le constructionnisme que les apprenants sont les constructeurs actifs de leur propre savoir, nous les avons poussés à explorer, manipuler et expérimenter TikTok dans un environnement sécuritaire et privé afin de favoriser l’apprentissage.

Les contacts pour la réalisation de la vidéo TikTok ont été réalisés par téléphone, y compris textes [6], par Zoom [7], par courriels [8], par FaceTime [1] et GoogleMeet [1] avec pour certains binômes, un mélange des moyens de communication. Les binômes rapportent entre deux et cinq rencontres en ligne pour la réalisation de la tâche, avec pour un binôme, des difficultés techniques. La plupart des binômes ont choisi comme sujet de leur création TikTok la relation entre les générations et/ou la sagesse, sujets qui ont été traités durant le premier atelier, mais la non-directivité et la créativité a permis également à un binôme d’utiliser de nombreux effets spéciaux que l’application met à disposition des utilisateurs.

4.3 Étape 3

Pour rappel, l’étape 3 concerne l’évaluation. L’évaluation « à chaud » à la fin de la deuxième rencontre a permis de mettre en évidence que la moitié des binômes ont pris du temps pour faire connaissance, pour parler d’autres choses que la réalisation de la vidéo. Deux binômes rapportent que le délai d’une semaine était trop court pour la réalisation du travail, ce qui les a privés de pouvoir plus communiquer sur d’autres sujets. Les participants ont éprouvé du plaisir à visionner les vidéos des autres binômes. L’appréhension du manque de compétence avant la réalisation de l’activité pratique devant un sujet tel que TikTok a été rapportée non seulement par les adultes aînés, mais aussi par certains jeunes adultes. Certains binômes ont signalé qu’ils avaient utilisé des ressources en ligne pour les aider à réaliser leur vidéo.

Les résultats de l’évaluation par questionnaire post-atelier [n=16] sont rapportés ci-après.

4.3.1 Degré de satisfaction de l’apprentissage technologique

L’apprentissage d’une nouvelle technologie comme TikTok a été une expérience plutôt positive pour les participants (très positive : 9 ; positive : 4 ; neutre : 3), malgré les appréhensions exprimées. Cela a représenté un défi de taille pour la plupart des binômes qui ne connaissaient pas cette application et qui les ont poussés hors de leur zone de confort : « j’ai appris à me dépasserFootnote 3 » ; « Mon entourage est surpris de mes (apparentes) compétences techniques » ; « J’utilise toujours TikTok. J’ai surmonté certains des obstacles à l’apprentissage de quelque chose de nouveau ».

Douze participants ont continué d’aller sur TikTok après la fin de l’atelier.

4.3.2 Rencontre en ligne : avantage ou inconvénient ?

La question des ateliers en ligne a présenté pour la moitié des participants un avantage certain. Pour les deux personnes qui ont relevé plutôt un inconvénient, la difficulté de se connecter avec Zoom ainsi que le manque de normes de communications au sein du binôme (combien de rencontres, durées, horaires, moyens de communication) ont été relevés.

4.3.3 Durée et sujet des rencontres – Directivité dans la tâche à réaliser

Sept participants demandent plus de temps pour les rencontres : « Plus de rencontres afin d’avoir plus d’échanges » ; « Plus de temps pour discuter avec le partenaire pendant le temps attitré » ; « Je recommanderais plus de 2, je pense peut-être une fois par semaine pendant un mois ».

Le sujet de l’atelier demande aussi à être choisi plus spécifiquement pour sept participants : « Trouver d’autres prétextes pour une rencontre intergénérationnelle pour créer un pont dont notre société semble avoir besoin (lutter contre l’âgisme…) » ; « En savoir plus sur les choses d’Internet et le cloud » ; « Ce serait formidable si les futurs ateliers se concentraient sur un thème ou un sujet spécifique (peut-être un sujet différent pour chaque atelier) » et un participant demande d’avoir une préparation en amont : « des suggestions de lectures en préparation de l’atelier pourraient être attribuées, ce qui enrichirait davantage les discussions ou les projets ».

Quatre participants notent le manque de directivité comme inconvénient : « Établir les objectifs de l’atelier plus clairement » ; « J’ai eu du mal à comprendre après les présentations ce qu’on attendait de nous autre que de faire l’exercice sur TicTok [sic] » ; « Directives plus spécifiques pour le TikTok ».

4.3.4 Impacts de l’atelier

En ce qui concerne l’impact de cet atelier, 13 participants ont relevé le plaisir de participer et d’avoir appris de nouvelles choses : « Je me suis rendu compte qu’à tout âge on pouvait avoir les mêmes difficultés face à l’inconnu » ; « Il est possible d’apprendre à tous âges ; il faut parfois un coup de pouce ». Le plaisir d’entrer en contact avec de nouvelles personnes a également été relevé : « Cela m’a donné confiance pour rencontrer des aînés » ; « Cela m’a ouvert un horizon insoupçonné et a augmenté ma connexion et ma confiance envers les jeunes » ; « Échanges agréables avec mon binôme » ; « Cela m’a fait revivre d’interagir avec une jeune personne » ; « J’ai apprécié travailler avec quelqu’un d’un cercle différent, un cercle avec lequel j’ai peu de contact tenu compte de la pandémie ».

Dans le cercle plus large de la famille et des amis, six participants relèvent que leurs entourages ont été surpris de leur capacité à créer une vidéo sur TikTok ou ont apprécié de les voir sur cette application : « Mes neveux/nièces me voient d’un autre œil depuis que j’utilise TikTok » ; « Mes parents ont eu du plaisir à voir ma réalisation sur TikTok » ; « Ma famille immédiate était très curieuse de mon expérience avec l’atelier. Partager avec eux était agréable :) ».

Un binôme a eu des contacts après la fin de l’atelier.

Douze participants recommanderaient l’atelier, trois sont indécis et une personne ne le recommanderait pas.

5. Discussion

En tenant compte des résultats des étapes 1, 2 et 3, nous présentons ici une synthèse globale qui découle tant de la littérature et du cadre théorique que de notre méthodologie qui a permis de passer du général au particulier par les différentes étapes. Nous reviendrons également sur les limitations de ce projet de recherche et exposerons nos recommandations, ainsi que les perspectives pour l’organisation d’ateliers intergénérationnels en milieu universitaire.

5.1 Organisation

Les résultats issus du questionnaire sur l’horaire et la durée des ateliers corroboraient avec les recommandations du groupe de personnes que nous avions rencontré avant de créer le questionnaire préliminaire. Comme les résultats du questionnaire préliminaires [n=79] allaient également dans ce sens, nous avons opté pour un atelier d’une heure trente, avec une session par semaine, sur deux semaines. Cet horaire et planification hebdomadaires ont également convenu au groupe des jeunes adultes. Cependant, la durée de l’atelier – deux rencontres – a été jugée insuffisante par la plupart des participants adultes aînés et certains jeunes adultes, qui auraient souhaité plus de temps pour partager et échanger, pour discuter et faire connaissance, ce qui est important pour développer la confiance réciproque (Crettenand Pecorini et Duplàa, Reference Crettenand Pecorini and Duplàa2020).

Si nous avons été attentifs d’inclure la théorie du contact intergroupe (Pettigrew, Reference Pettigrew1998), le temps pour permettre aux membres du groupe de se découvrir pour travailler ensemble semble également important, tant pour les adultes aînés que pour les jeunes. Malgré ce temps limité, un binôme a réussi à créer un lien suffisamment important pour continuer à rester en contact après l’atelier. En analysant les conditions facilitatrices propres à la théorie du contact intergroupe (Pettigrew et Tropp, Reference Pettigrew and Tropp2006), nous avons été attentifs à ne pas créer de hiérarchie ni au sein du groupe ni au sein des binômes. La collaboration a été rendue nécessaire non seulement pour la tâche à réaliser (deux personnes sur la vidéo), mais aussi par le fait de travailler en binôme où personne ne peut se cacher ou être ignoré, collaboration qui s’est déroulée dans un espace sécuritaire (pas de regards extérieurs durant la réalisation de la tâche à deux, gestion du temps et organisation à deux). En ce qui concerne le partage de but commun, et bien que l’objectif de réalisation d’une vidéo sur TikTok ait été imposé aux binômes, aucun participant n’a refusé de relever le défi, démontrant une compréhension du but principal derrière la création de la vidéo, dans ce projet pilote d’atelier intergénérationnel en milieu universitaire. Le dernier point des conditions facilitatrices de la théorie du contact intergroupe est le soutien officiel reconnu et renforcé positivement, ici l’Université d’Ottawa, et plus particulièrement les Facultés d’éducation et des Arts, mais aussi de l’Institut de recherche LIFE dont les trois auteurs de cet article font partie.

5.2 Contenus

Les sujets potentiels pour des cours pour les adultes aînés sont aussi divers qu’est le public (Kern, Reference Kern2013). Cette constatation est une réalité tant pour le groupe rencontré avant le questionnaire préliminaire que les réponses données au questionnaire d’évaluation. Si les sujets liés au vieillissement trouvent un écho favorable pour presque la totalité des participants, des thèmes comme les enjeux environnementaux, plutôt associés aux jeunes générations, font également partie des forts intérêts des adultes aînés. Cela rejoint plusieurs auteurs qui demandent que les aînés soient partie prenante de la formation, dès sa conception, pour éviter les clichés et idées reçues sur les intérêts et capacités des adultes aînés (Kern, Reference Kern2013).

5.3 Directivité

L’intérêt pour des ateliers intergénérationnels était très présent dans les discussions du bilan de l’activité, cependant avec des activités diverses, contenant un objectif déterminé à l’avance et encadré. Nous avions fait le choix délibéré de ne pas donner des instructions précises pour la réalisation de la vidéo TikTok en binôme, ni sur la forme (plus ou moins imposée par l’application), ni sur l’organisation du binôme ou sur le sujet de la vidéo. Nous étions intéressés de découvrir comment chaque binôme allait s’organiser et interagir entre eux pour produire la vidéo avec très peu d’encadrement, tâche qui a été finalement un prétexte pour mettre en action le binôme dans une relation à deux. Les relations tout comme le contexte sont primordiaux dans le constructionnisme qui met également en valeur l’expérience avec les autres et le langage utilisé dans les interactions, et permet de coconstruire la réalité. Cette non-directivité a été très perturbante pour beaucoup de participants. Elle s’explique peut-être par la forme inhabituelle de l’apprentissage intergénérationnel qui est basé non seulement sur le partage et le transfert de connaissances comme on peut le penser, mais aussi sur les relations, la coopération et la collaboration, la participation active et les échanges entre personnes de générations différentes dans un processus où les émotions jouent un rôle considérable et les bénéfices partagés (Fitzpatrick, Reference Fitzpatrick, Kernan and Cortellesi2019 ; Sánchez, Reference Sánchez2008 ; Shimada et Dameron, Reference Shimada and Dameron2016 ; Sánchez et Kaplan, Reference Sánchez and Kaplan2014).

Si la question de la formation nécessaire ou non des personnes qui organisent et encadrent des projets intergénérationnels reste ouverte, nous avons choisi dans ce projet intergénérationnel en milieu universitaire et en partie réalisé en binôme, la position de guides avertis des défis de l’intergénérationnel et du vieillissement, guides qui identifient les difficultés et apportent des solutions afin d’optimiser les relations qui permettront les apprentissages (Topping, Reference Topping2020 ; UE et Erasmus, 2020). La demande d’une structure établie et de préparations en amont est demandée par les participants, ce qui démontre qu’ils sont prêts à s’engager pleinement dans ce type de projet, ce que Carré (Reference Carré and Frétigné2020) relève comme une disposition parmi d’autres envers l’acte d’apprendre. En termes de directivité, nous pouvons donc avancer que si l’objectif « comment » est évident dans un projet intergénérationnel, il ne se suffit pas à lui-même : il faut impérativement un objectif commun au binôme, mais aussi deux objectifs spécifiques d’apprentissage pour les individus.

5.4 Une meilleure compréhension et un plus grand respect entre les générations

Même si les participants ont relevé le peu de temps disponible pour développer des relations sociales, l’appétence pour les apprentissages intergénérationnels a été bien présente. Cela a permis d’avoir une meilleure compréhension de l’autre – qui représentait une autre génération, ainsi que de développer un plus grand respect entre les générations, ce qui est également relevé par différents chercheurs dans les projets intergénérationnels (Barbosa et al., Reference Barbosa, Campinho and Silva2021 ; Kaplan et al., Reference Kaplan, Thang, Sánchez and Hoffman2020) et dans les théories de l’apprentissage intergénérationnel (Boström et Schmidt-Hertha, Reference Boström and Schmidt-Hertha2017 ; Fox et Giles, Reference Fox and Giles1993). Cette découverte de « l’autre » génération a été dans les deux sens. En plus du processus d’apprentissage, les relations intergénérationnelles vécues ont permis la découverte de l’autre, comme le soulignent Boström and Schmidt-Hertha (Reference Boström and Schmidt-Hertha2017) au sujet des relations intergénérationnelles dans l’apprentissage tout au long de la vie.

5.5 Accomplissement et fierté, développement de connaissances et compétences

Si la création d’une vidéo sur TikTok a poussé plusieurs participant hors de leurs zones de confort, les sentiments d’accomplissement et de fierté ont été exprimés spontanément par plusieurs participants et partagés avec leur entourage. Ces sentiments sont apparus à la suite de la création de la vidéo en binôme, à travers des apprentissages intergénérationnels qui ont favorisé les sentiments d’accomplissement et de fierté (Kaplan et al., Reference Kaplan, Thang, Sánchez and Hoffman2020) et toutes autres expressions de sentiment qui jouent un rôle important dans les apprentissages (Shimada et Dameron, Reference Shimada and Dameron2016).

Un des buts de l’apprentissage intergénérationnel est d’accroître les connaissances et de développer de nouvelles compétences en collaboration avec une ou des personnes d’autres générations (Kaplan et al., Reference Kaplan, Thang, Sánchez and Hoffman2020). Le retour d’expérience sur cette thématique a été relevé par les adultes aînés, mais aussi par les jeunes adultes. Si l’objectif de cet atelier n’était pas en priorité l’apprentissage de l’utilisation de l’application TikTok, 12 participants ont continué de l’utiliser après l’atelier. Bien que la publicité de recrutement pour l’atelier spécifiait « Utilisation du réseau social TikTok », les participants ne pensaient pas qu’ils auraient à le manipuler, mais que nous allions leur apprendre à l’utiliser, ce qui a été le cas, mais dans un format inattendu pour eux. Plus d’un participant – aîné comme jeune – ont été sceptique quant à la tâche à réaliser et sa capacité à le faire, mais finalement, tous l’ont réalisé et de ce fait, a contribué à augmenter leurs connaissances, développer de nouvelles compétences et renforcer leur confiance en eux-mêmes et en leur partenaire d’une autre génération.

5.6 Limitations

La technologie indispensable pour les rencontres en ligne a limité d’office toutes les personnes intéressées qui n’avaient pas de possibilité de connexion ou d’équipement, ou peu ou pas de motivation pour des rencontres en ligne. Le groupe de discussion de langue anglaise rencontré en amont du questionnaire préliminaire nous a rapporté de leur expérience liée à la pandémie que les adultes aînés anglophones de leurs associations préféraient se joindre à des discussions de groupes par téléphone au lieu d’une connexion Internet, ce qui n’était pas le cas dans les associations francophones. La saturation des contacts par écran imposé par la pandémie a sans doute également découragé certaines personnes pour se joindre à cette expérience qui était clairement annoncée en ligne. Notons également que le but de cette activité originale n’a sans doute pas été facile à saisir, tant pour les adultes aînés que pour les jeunes adultes, et qu’il a été impossible pour notre équipe de présenter notre projet en personne, face à face. En tenant compte de tous ces facteurs, nous pouvons définitivement rapporter que le recrutement a été difficile.

Le nombre restreint de participants à l’atelier pilote ne permet pas une extrapolation pour établir des ateliers intergénérationnels idéaux, même si de nombreuses pistes ont été relevées pour affiner ce type d’intervention et nous permettent d’émettre des recommandations. En effet, les trois premières étapes de cette recherche basée sur la conception permettent une certaine transférabilité, alors que l’étape 4, que l’on peut envisager dans le futur, devrait permettre de théoriser son effet et d’améliorer la conception dans les contextes plus large des recherches quantitatives et donc plus généralisables.

Le fait d’annoncer que l’atelier pilote se déroulera en milieu universitaire peut avoir eu un impact négatif sur les participants potentiels qui ont pu identifier le milieu intimidant. Sur les huit adultes aînés qui ont participé à l’atelier pilote, six ont rapporté posséder un diplôme universitaire. L’affiche publicitaire ainsi que le courriel de recrutement n’ont pas spécifiquement annoncé que l’atelier était ouvert à toutes les personnes, quels que soient leur parcours professionnel et leur niveau d’étude.

5.7 Recommandations

Au terme de notre analyse et réflexion, nous avons cherché à dresser la liste des priorités pour l’apprentissage intergénérationnel en milieu universitaire.

5.7.1 Format

  • Structurer le format en permettant de développer une relation de confiance qui ne peut se construire qu’avec le temps et les rencontres successives, par exemple :

    • Une réunion par semaine, d’une durée de 1 h 30 à 2 h, au minimum durant un mois

    • Favoriser des activités pratiques variées en binômes intergénérationnels ; laisser les binômes se former d’eux-mêmes

  • Offrir la possibilité d’être en présentiel et en ligne selon le choix des participants

  • Ouvrir à tous les niveaux d’éducation préalable pour les adultes aînés (les jeunes adultes sont étudiants à l’université)

  • Suivre les recommandations de la théorie du contact intergroupe de Pettigrew (Reference Pettigrew1998) afin de favoriser des relations intergénérationnelles harmonieuses

5.7.2 Objectifs

  • Établir un but commun général au groupe (thématique générale). Quelle que soit la thématique choisie, elle doit :

    • Permettre la participation active de personnes de générations différentes, dans le respect de la diversité, de l’équité et de l’identité sociale

    • Procurer des moments de partages pour favoriser des relations intergénérationnelles sûres, respectueuses et réciproques

    • Fournir des occasions d’acquisition de connaissances (formelles et informelles), de compétences et de valeurs par un développement actif dans un partenariat descendant et ascendant qui stimule les pratiques réflexives

    • Offrir des bénéfices communs et individuels à toutes les personnes impliquées, tant au niveau éducatif que social

    • Éviter la discrimination, c’est-à-dire ne pas se laisser influencer par les préjugés de capacités des adultes aînés et autres stéréotypes liés aux générations en contact afin répondre et de dépasser les attentes des participants

    • Consentir à la place des émotions dans les relations et dans le processus de construction des savoirs, savoir-faire et savoir-être

  • Conduire chaque binôme à définir un objectif spécifique qui lui sera propre pour :

    • Lui permettre de développer une relation dans une tâche commune à réaliser

    • Favoriser les échanges et apprentissages par un soutien mutuel

  • Encourager chaque participant à se fixer deux objectifs personnels avec un plan d’action qui lui permettront de s’épanouir et de gagner en confiance

  • Intégrer les objectifs de promotion de la solidarité intergénérationnelle, d’intégration sociale et la réduction de l’âgisme qui devraient être implicites à tout apprentissage intergénérationnel.

5.7.3 Approches pédagogiques

  • Les approches pédagogiques doivent se fonder sur une pédagogie active :

    • Pédagogie basée sur l’action de l’apprenant en le plaçant au cœur du processus d’apprentissage

    • Pédagogie qui tient compte de toutes les dimensions humaines de l’apprenant pour favoriser ses dispositions à apprendre

  • Les activités et les objectifs pédagogiques doivent être :

    • Multiples pour être réalisés en binômes intergénérationnels, sans préjuger des intérêts de l’une ou de l’autre génération

    • Originaux et audacieux

    • Basés sur les théories de la pédagogie, de l’andragogie, de la gérontagogie et de l’apprentissage tout au long de la vie, ainsi que sur les théories émergentes de l’apprentissage intergénérationnel

  • L’évaluation doit être personnelle, car elle doit tenir compte de l’individu avec ses compétences transversales, sa propre histoire d’apprentissage et son contexte social.

5.7.4 Organisateurs

  • Bien que les organisateurs d’ateliers intergénérationnels représentent le soutien des institutions sociales (soutien officiel reconnu et renforcé positivement) préconisé dans les conditions facilitatrices de la théorie du contact intergroupe de Pettigrew (Reference Pettigrew1998), et afin d’optimiser les relations qui permettront les apprentissages, ils devraient être avant tout des :

    • Facilitateurs organisationnels dynamiques

    • Connaisseurs des théories et des pratiques liées à l’intergénérationnel

    • Guides qui identifient les difficultés et apportent des solutions constructives

    • Personnes bienveillantes qui se soucient du bien-être des autres, qui manifestent du respect, de la compréhension et qui sont à l’écoute

  • Les acquis spécifiques des organisateurs d’ateliers intergénérationnels en milieu universitaire devraient comprendre :

    • Des connaissances solides sur l’intergénérationnel, les relations intergénérationnelles et l’apprentissage intergénérationnel

    • Des savoirs de base des théories de la pédagogie, de l’andragogie, de la gérontagogie et de l’apprentissage tout au long de la vie

    • Une compréhension approfondie de ce que signifie la vieillesse et le vieillissement

    • Des notions sur la théorie du contact intergroupe de Pettigrew (Reference Pettigrew1998) et sur l’âgisme

5.6 Essai de définition de l’apprentissage intergénérationnel en milieu universitaire

C’est à partir de notre expérience d’ateliers pilotes établis sur la base du questionnaire préliminaire et des rencontres exploratoires pré-ateliers, mais aussi à partir de la littérature consultée sur l’intergénérationnel, les relations intergénérationnelles, l’apprentissage tout au long de la vie et l’apprentissage intergénérationnel que nous avons tenté de formuler notre propre définition de l’apprentissage intergénérationnel en milieu universitaire.

L’apprentissage intergénérationnel en milieu universitaire est un processus d’apprentissage se déroulant dans le respect de la diversité, de l’équité et de l’identité sociale et qui est planifié et organisé par des facilitateurs connaisseurs des théories et des pratiques intergénérationnelles et qui adaptent ce processus d’apprentissage aux participants qu’ils guident, participants qui représente au moins deux générations (si possible non adjacentes et non familiales) entrant en relations interactives et variées lors de plusieurs rencontres pour apprendre les unes des autres dans un partenariat coconstruit de partage d’expertises, d’intérêts communs et ouvert aux émotions afin d’acquérir de nouvelles connaissances, compétences et valeurs par un transfert ascendant et descendant équitable de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être, et dont les bénéfices (épanouissement, estime de soi, solidarité intergénérationnelle, inclusion et intégration sociale, réduction de l’âgisme, etc.) sont communs et individuels aux générations en présence.

5.7 Perspectives

À la suite de cet atelier intergénérationnel pilote, nous souhaitons développer d’autres ateliers à plus grande échelle et sur des sujets variés, en ouvrant les portes de l’université aux adultes aînés. L’ouverture de cours pour des activités intergénérationnelles spécifiques, sans offrir obligatoirement des crédits pour les cours suivis, nous permettrait de devenir une université accueillante pour les adultes aînés tout en étant profitables aux étudiants et à notre communauté. Pour ce faire, nous devons développer un modèle économique spécifique qui tient compte des générations en contact, tout en simplifiant les démarches administratives et en éliminant, tant que possible, les barrières physiques et sociétales envers ce publique cible.

Conclusion

Les spécificités des apprentissages intergénérationnels restent complexes à établir, car elles doivent tenir compte du public cible qui couvre plusieurs générations, et de ce fait, avec des expériences, connaissances, capacités et intérêts divers, mais aussi avec une histoire distincte qui est liée au contexte social propre à chaque individu. C’est justement cette richesse individuelle qui vient nourrir l’autre à travers les relations intergénérationnelles, afin de réaliser des apprentissages d’ordre cognitif et conatif, mais aussi tout important, d’ordre affectif. Alors que le visage de notre société change vers une population de plus en plus âgée comme jamais vécu auparavant dans l’histoire de l’humanité, nous devons repenser notre modèle de société et y inclure toutes les générations, pour une société plus solidaire et inclusive, adaptée à cette nouvelle réalité. Les apprentissages intergénérationnels – en tenant compte de leurs spécificités – sont sans doute une opportunité pour réaliser cette adaptation.

Déclaration

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt ou intérêt financier dans la publication de cet article. Cette recherche a bénéficié du fond de mobilisation des connaissances 2019 de l’Université d’Ottawa pour l’initiative de l’apprentissage tout au long de la vie.

Footnotes

1 La gérontagogie, qui se réclame des sciences de l’éducation, est l’enseignement et la formation des « aînés valides ».

2 Il est impossible de définir le mot « aîné » de manière consensuelle, l’âge chronologique n’étant pas un critère exclusif. Pour cette recherche, nous avons considéré comme aînés ceux qui s’identifient comme tels, de même pour les jeunes adultes. Il y a eu pour chaque binôme au minimum une génération d’écart.

3 N.B. Les citations des participants anglophones ont été traduites par nos soins.

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Figure 0

Figure 1. La recherche basée sur la conception en tant que processus continu d’innovations (Fraefel, 2014). Tiré de Professionalization of pre-service teachers through university-school partnerships par U. Fraefel, 2014, Conférence WERA Focal Meeting, Edinburgh, Royaume-Uni. © 2014 par Urban Fraefel. Reproduit et traduit avec autorisation.

Figure 1

Figure 2. Schéma récapitulatif de l’atelier pilote intergénérationnel de l’étape 2 (© 2023, Crettenand Pecorini et al.).

Figure 2

Tableau 1. Synthèse des réponses démographiques du questionnaire préliminaire auprès des adultes aînés [N=79].

Figure 3

Figure 3. Intérêts des adultes aînés selon les sujets proposés pour les ateliers intergénérationnels [n=79]

Figure 4

Figure 4. Relation entre le niveau d’éducation et le fait de posséder un ordinateur [n=79].